J’ai décidé à partir de 2009-2010 de travailler sur les Navettes. Ce sont de petits gâteaux secs, appartenant à un ensemble de pâtisseries anthropomorphiques, typiques de Marseille, représentant métaphoriquement une vulve. La forme et toute la symbolique se rapportant aux Navettes : féminité, fécondité à la fois en lien avec la religion catholique et avec des rites païens anciens m’ont donné l’idée de raconter sous cette forme des histoires de femmes. Elles constituent un ensemble d’objets réalisés dans diverses techniques, sculptures textiles, photomontage, papier mâché, assemblage, tricot, papiers pliés, utilisant divers matériaux de la fourrure, de la dentelle, des insectes, des plumes, des perles, des tissus ; la technique va servir le propos. Les références sont parfois religieuses ex voto de la Navette MLFSOM ou semi votives pour le globe Navette de Mariée . Elles renvoient souvent au monde de la collection, trophée de chasse de la Navette Mille e tre , boîtes d’entomologie des Navettes Bijoux de famille , Philis , Phoebe.
Après plusieurs décennies à écouter les difficultés et souffrances des femmes, à recueillir les récits d’épreuves de vie, un féminisme solide s’est ancré et en faire état par une démarche artistique m’est devenu nécessaire. L’impossibilité de l’accès à la pratique de l’art des femmes au cours des siècles et le poids social pesant sur elles ont contribué à étouffer la parole des femmes.
« Par les navettes, Edith Laplane réinvente une mythologie individuelle, la traduction d’une expérience personnelle (… ) où l’obscur si longtemps recelé, reprend ses droits. Sans litanie, ni complainte, les navettes viennent de la prise de parole des femmes de l’art, c’est un langage en mouvement, ajusté, risqué et coupant. Exclues du discours (une question si persistante encore aujourd’hui) le féminin est un inconnu réduit ou négatif, sauf à revêtir l’habit de madone, de déesse, de sainte, ou pécheresse, sauf à être à jamais « une créature » comme les sorcières, les jeteuses de sort, et autres jaseuses infernales que l’art ne peut pas voir en peinture. A la manière de l’artiste américaine Nancy Spero dont l’oeuvre est fondée sur la rage et le cri, en guerre contre la virilité, tire une langue phallique et la fourre dans la bouche de ses personnages. Le corps est le lieu de l’innommable. Quelque chose bat quand le reste se tait. Ce sont les oeuvres des femmes ancrées dans le réel, les soubresauts, les fractures et les révolutions.
Ces irrésistibles navettes s’imposent comme pensée du premier monde. Elles brillent au-dessus des flots et du soleil de Marseille. Tout est mêlé : innocence et carnage, mémoire et présent, dérision et déraison. Homme et femmes se tiennent sur deux rives différemment périlleuses qui brûlent les lèvres et aiguisent les crocs avec l’envie d’avertir de ce qui embrase les corps. Pour Edith Laplane, les soins ne remplacent pas l’étreinte. Pour toute colère qui se lève, pour tout mot d’amour qu’on adresse, il y a l’appel de la mère, l’appel de la nature dans la mer plus ancienne que la vie. »
Elisabeth Chambon Conservateur en chef du Patrimoine
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